Aux portes de l'Europe... Toute la misère du Monde.
Les jolies barques de la pêche traditionnelle ne font pas le poids face aux bateaux-usines de la pêche industrielle... Alors elles reprennent du service pour emporter les candidats à l'exil vers une Europe de cocagne... ou vers la mort. A tous ceux qui pensent qu'on peut résoudre le problème de l'immigration clandestine grâce aux charters, à l'immigration choisie, à l'immigration zéro ou à tout autre dispositif destiné à refouler les laissés pour compte de la planète, victimes de la déshérence de dirigeants et des excès de la loi du Marché, je voudrais soumettre un petit jeu de rôle (mais pas vraiment drôle!) :
Imaginez ...
Vous êtes un Sénégalais (ou un Mauritanien) dans la force de l'âge, vous ne demandez qu'à travailler, mais vous voyez disparaître peu à peu les derniers emplois procurés par la principale ressource économique du pays, la pêche. Pourquoi ? Parce que des bateaux usines japonais ou Européens raflent tout ce qui nage le long des côtes pourtant très poissonneuses. Le cours du poisson de qualité, très apprécié des touristes, est monté en flèche, le "capitaine"que vous mangiez traditionnellement, ne vous est plus accessible, alors vous vous êtes mis à consommer un petit poisson plein d'arêtes dont on se servait autrefois comme engrais pour les cultures...
Imaginez encore...
Vous vivez au Libéria, vous travaillez dans la plantation d'hévéas de la firme Firestone-Bridgestone. Parti à 4 heures du matin, vous badigeonnez les arbres avec des pesticides sans aucune protection, puis vous entaillez les arbres pour recueillir le latex. Il vous faut faire 800 arbres dans la journée pour avoir vos 2 euros de salaire journalier. Alors votre femme et vos gosses sont obligés de vous aider... Quand vous aurez livré tout votre latex (230 kg à dos d'homme), vous rentrerez éreinté dans votre baraquement où vous vous entassez à 8 dans une pièce. La firme vous a généreusement doté d'un point d'eau et de 8 latrines pour 700 personnes. Au dîner vous consommez des poissons contaminés par l'acide et l'ammoniac déversé sans précaution dans la rivière...
Encore un effort, imaginez ...
Vous êtes un Tanzanien (ou un Ougandais) et vous n'en pouvez plus de voir les vôtres trop pauvres pour se nourrir autrement que de la friture des restes en décomposition de perches du Nil que rejettent l'usine de conditionnement ultra moderne. Ces perches du Nil, seuls poissons existant dans le lac Victoria depuis la catastrophe écologique, sont pêchées, préparées en filets et exportées vers l'Europe. Les européens les trouvent ainsi à un prix intéressant dans leurs rayons de poissonneries.
Il y aurait beaucoup d'autres scénarios possibles, tous vrais, malheureusement.
Cher compatriote, que faites-vous lorsque vous vous placez dans cette situation de total désespoir ? Et bien, vous faîtes comme eux, vous tentez, quelques soient les difficultés et quoi qu'il en coûte de faire votre vie ailleurs...
Penser qu'on va endiguer le phénomène en privilégiant quelques têtes bien faites ou en distribuant quelques aumônes, c'est se voiler la face.
Alors, que faire ? Et bien je n'en sais rien, mais il me semble qu'il faudrait s'atteler à une moralisation des pratiques industrielles et commerciales. Qui peut le faire ? Les dirigeants de ces pays le devraient, mais ils sont vendus corps et âmes aux firmes et ne pensent qu'à leur enrichissement personnel.
La diplomatie Européenne pourrait chercher à avoir une influence sur ces « dirigeants politiques voyous ». Ce devrait être son souci majeur, mais le fait-elle? Je ne sais pas.
Ce qu'on peut regretter, c'est que la France, qui a eu la main mise sur toute une partie de l'Afrique pendant longtemps n'a jamais du beaucoup se soucier de cela. Et, de plus en plus, la France perd la main, ce sont maintenant les Chinois qui font la pluie et le beau temps. La France, sur ce plan, a vraiment tout raté, quand on pense à son influence dans ce qu'on a appelé la « FrançAfrique » !
Reste nous, le populo, en bout de chaîne... Dans ce monde mercantile, nous avons un pouvoir, celui de la consommation (je ne parle même pas du suffrage universel !). Nous ne devons plus sponsoriser par nos achats des pratiques qui créent de la misère et par voie de conséquence de l'exil. Nous devrions exiger pour les produits que nous consommons, un « label humain » (l'idée fait son chemin). Par exemple, la firme Michelin, qui a aussi des plantations d'hévéas, se soucie de l'aspect humain et de l'environnement, contrairement à Firestone. Alors roulons Michelin plutôt que Firestone.
Pour généraliser ce principe, il faudrait une bonne information, objective et neutre sur les produits, une traçabilité, en somme.
Ça serait un début...
Belette
Les infos sur la firme Firestone/Bridgestone viennent d'un article signé Anne Guion, paru dans « La Vie » du 22 juin, intitulé: « Les esclaves du caoutchouc »