Journal de voyage AUSTRALIE (14)
A l'atelier des peintres, la relève. La grand-mère (dans les 50 ans)peint depuis peu, la fille et la petite fille apprennent les mythes dont leur lignée est propriétaire. Mais ce sont les toiles des arrières grand-mères que nous choisissons d'acquérir.
Un "Lascaux vivant "
Nous sortons de l'atelier abasourdis par notre rencontre avec l'âge de pierre. Peu de gens extérieurs, semble t-il, sont invités à visiter ces dames (et ces messieurs, car il y a aussi beaucoup d'hommes qui peignent bien que nous n'en ayons vu qu'un seul et qui dormait). Les peintres ne sortent qu'exceptionnellement de l'atelier, selon Sheila, ils se sentent mal dans les rues d'Alice Spring... trop de mouvement, trop de Blancs...
Le soir, nous nous baladons dans Todd Street, le grand « mall » d'Alice. Quelques aborigènes vendent des peintures dans la rue, elles sont de taille réduite et de facture plutôt simple par rapport à ce qu'on voit dans les galeries, mais les symboles sont les mêmes. Nous achetons une toile pour quelques dollars. Elle représente un « Rêve » de baies sauvages, mais la vendeuse n'en dit pas plus.
Le soir attablés devant un steak de kangourou, nous nous interrogeons sur l'opportunité d'acquérir une toile à la Yanda gallery avec certificat d'authenticité. Nous les trouvons belles esthétiquement mais surtout, elles nous paraissent les derniers témoignages vraiment fidèles d'un langage immémorial (qui semble remonter à 30 000 ans), et les peintres qui la pratiquent encore sont si vieux que cet art vit peut-être ses dernières années. Certes la relève existe avec des gens plus jeunes, des cinquantenaires qui commencent à peindre, mais ceux-ci, plus marqués que leurs parents par notre culture, prennent plus de liberté notamment dans les couleurs. Les deux dames que nous avons vues sont nées à une époque où leur propres parents parcouraient encore le désert en tribus nomades et elles ont vécu, dans leur jeunes années, la vie des chasseurs cueilleurs.
La grosse dame joyeuse, par exemple, (nous l'appellerons Gloria par commodité), n'a rejoint une communauté sédentaire que vers l'âge de 10 ans. En acquérant leur peinture, c'est l'expression d'un temps bientôt révolu que nous conserverons et la trace d'une mentalité, d'une relation au monde, qui a du être, il y a fort longtemps, celle de nos propre ancêtres à Lascaux ou ailleurs. En fait, et pour reprendre le mot d'un défenseur des peuples premiers (est-ce Jean Malaury ?) à propos des Inuits : « C'est un Lascaux vivant ».
Le lendemain matin, nous nous rendons à la Yanda gallery pour acquérir une peinture. Nous y trouvons Jim toujours aussi adorable. Ce type dégage un calme qui vous met sur un petit nuage. Sur le mur du fond, il y a une toile immense et d'une beauté à couper le souffle, elle est très chère, beaucoup trop pour notre budget mais je rêve dessus un moment. Elle est d'allure abstraite bien que très travaillée, mais nous savons que chaque détail a un sens et même plusieurs. Jim nous apprend qu'elle vient d'être vendue, avec une autre de même taille et du même auteur (encore un femme), à un américain pour le prix de 50 000 dollars australiens soit environ 30 000 euros. Les prix baissent assez vite avec la taille mais cela reste assez cher quand même. Finalement nous nous décidons pour deux toiles de taille moyenne peintes par nos deux copines d'hier (Les photos des épisodes 11 et 12).
Une fois l'affaire conclue, nous continuons avec Jim notre « initiation » au monde mystérieux des Aborigènes.
J'ai lu quelque part, et sans trop y croire, qu'ils étaient naturellement télépathes. J'ai déjà posé la question à Sheila, hier, je la repose à Jim parce que je suis une grande sceptique. Mais tous deux sont d'accord, il existe chez ses gens, très proches les uns des autres (car la communauté prime sur l'individu) une sorte d'empathie, qui semble t-il, leur permet de communiquer sans parler. Par exemple, il arrive souvent, qu'ils annoncent la visite d'une personne sans qu'aucun message ne les en ait avertis. En tout cas, Jim, lui, semble convaincu de ce don.
Il nous montre des photos de Gloria, enfant, arrivant du désert Gibson, dans la communauté de Papunya, avec l'un des derniers groupes nomades. On y voit ses parents qui sont des gens minces et athlétiques, rien à voir avec le look actuel des Aborigènes, qui sont, il faut le dire, obèses, pour la plupart. La sédentarité, la nourriture moderne, l'alcool et plus que tout, le sucre, qu'ils ne supportent absolument pas, ont eu raison de leur santé et de leur ligne. Le diabète fait des ravages encore bien plus que chez les Australiens blancs, pourtant bien touchés eux aussi.
Papunya, est le lieu de naissance de la peinture acrylique sur lin telle qu'elle se pratique aujourd'hui. Je vais vous conter l'histoire de cette naissance, bien utile pour se faire pardonner un peu, en tant que Blanc, toutes les horreurs qui ont été infligées au peuple Aborigène...
A suivre